Abou Oubaïda, l’Algérien qui reprend Aqmi

Le Figaro – vendredi 27 novembre 2020

Le nouvel « émir » d’al-Qaida au Maghreb islamique est passé, comme feu Droukdel, par le GIA et le GSPC.

Adam Arroudj

Capture d’écran tirée d’une vidéo mise en ligne par Al Andalus, le 6 mai 2013, montrant Abou Oubaïda Youssef al-Annabi.

TERRORISME La tête d’al-Qaida au Maghreb islamique restera donc algérienne. Alors que la mort d’Abdelmalek Droukdel, le 3 juin lors d’une opération ­militaire française dans le nord du Mali, signait une nouvelle perte d’influence des Algériens au sein de l’organisation, c’est encore un représentant de l’islamisme armé qui ravagea l’Algérie dans les années 1990 qui a été désigné dans une vidéo reçue par l’agence américaine SITE, spécialisée dans la surveillance des groupes islamistes armés. Et plus exactement un vétéran de ce qu’on appelle la « deuxième génération », celle qui vient après les vétérans de l’Afghanistan, tous premiers fondateurs des groupes armés en Algérie.

Son nom est Abou Oubaïda Youssef al-Annabi. Il ne ressemblerait en rien à son prédécesseur. « Contrairement à Droukdel, qui faisait partie des “intellectuels” d’Aqmi, qui réfléchissait aux orientations idéologiques de l’organisation, Abou Oubaïda est un combattant », explique au Figaro une source militaire algérienne.

Il serait apparu pour la première fois dans une vidéo du GSPC ­(organisation islamiste armée d’idéologie salafiste née en 1998 d’une scission avec le Groupe islamique armé) en 2004. « Cette vidéo montre une embuscade contre des militaires dans la région de Tizi-Ouzou et on le voit, l’arme à la main, en train de tirer », poursuit notre interlocuteur.

S’il n’appartient pas au « clan de Réghaïa » comme Droukdel, groupe des dirigeants d’Aqmi issus de la région est d’Alger et de la Kabylie, il se distingue aussi de l’ancien « émir » par le courant idéologique auquel il appartient, puisqu’il fait partie de la Djazara, groupe dissident des Frères musulmans apparu dans les universités algériennes à la fin des années 1980, sorte de courant « algérianiste » parmi les mouvements islamistes radicaux. « En d’autres termes, il est plus proche des salafistes modérés. En 2011, on le voit d’ailleurs dans une vidéo soutenir la révolution tunisienne. »

Liste noire américaine 

C’est dans les montagnes de Boutaleb, entre Bordj Bou Arreridj, Sétif et Béjaïa, que Yazid M’barek (son vrai nom), présumé né en 1968 et originaire d’Annaba (d’où son nom de guerre), rejoint le GIA, dès 1995. Passé par cette matrice du terrorisme armée qui s’illustra durant la guerre civile algérienne, il participe ensuite, en tant que membre fondateur, à la création du GSPC en 1998. Selon nos sources, entre cette date et 2010, la justice algérienne l’a condamné dans quinze affaires, allant de l’assassinat de membres des forces de l’ordre à la fabrication d’explosifs, sanctionnées par la perpétuité ou la peine capitale (non appliquée).

D’après le think-tank américain Counter Extremism Project (CEP), l’Algérien au visage long, à la ­barbe blanche et au regard très dur, réputé violent, est inscrit sur la liste noire américaine des ­« terroristes internationaux » depuis septembre 2015. Il est également le dirigeant de la branche médias d’Aqmi.

« Il était surtout le chef du “conseil des notables” au sein de l’organisation. C’est ce statut, selon la loi interne d’Aqmi, qui le désignait comme successeur de Droukdel », poursuit un ex-officier de la lutte antiterroriste. Mais selon cette source, cette désignation soulève aussi des questions. « La beya (l’allégeance obligatoire au nouvel « émir », NDLR) aurait dû se faire tout de suite après la mort de Droukdel. Or plus de cinq mois se sont écoulés. »

Pour l’ancien officier, plusieurs explications sont possibles : « La pression des forces de sécurité rendrait difficile, voire impossible, pour les différents chefs de zones et de katibas (cellules) de faire allégeance. Mais le retard pourrait aussi s’expliquer par des luttes de leadership. » Car si les chefs et les hauts cadres d’Aqmi restent physiquement en Algérie – dans une zone allant de la Kabylie à Aïn Defla, plus à l’ouest – ils se retrouvent isolés et n’ont quasi plus aucune marge de manœuvre pour mener des attaques, le gros des combattants, très actifs, étant aujourd’hui malien et opérant au Sahel.

« Il est clair qu’aujourd’hui, les Algériens ne pèsent plus grand-chose dans le terrorisme au Sahel et c’est la raison pour laquelle Droukdel avait choisi de se rapprocher d’Iyad Ag Ghali, homme fort du nord du Mali, pour former le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) aux côtés d’Ansar Dine et des katibas du Macina menées par Amadou Koufa », poursuit-on, du côté des services algériens.

Si dans les semaines à venir, le GSIM tarde à faire allégeance, ou même s’ils ne disent rien, « cela confirmera qu’il y a un gros problème au sein d’Aqmi », et qu’une scission entre une Aqmi-Algérie et une Aqmi-Sahel n’est pas à exclure.